En septembre 1848, la Deuxième République est bien fragile. Elle a remplacé la Monarchie de Juillet en février mais ses voiles toutes gonflées de discours sur la liberté et la fraternité, elle a échoué sur le récif de l’égalité.
-En septembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte entre en catimini par la porte de service de l’Assemblée Nationale Constituante. Il vient d’être élu à la faveur de partielles dans quatre départements à la fois.
Il ne voudrait pas être l’objet d’acclamations de la part de la foule massée au-dehors. Inutile d’inquiéter trop vite ses nouveaux collègues.
Ainsi commence un chapitre du livre de Sylvie Yvert qui a imaginé de rédiger les Mémoires que Madame de Lamartine aurait pu écrire sur sa vie aux côtés de son grand homme de mari. Vous me suivez ?
Ça s’appelle “Au moins le souvenir”.
En septembre 1848, la Deuxième République est bien fragile. Elle a remplacé la Monarchie de Juillet en février mais ses voiles toutes gonflées de discours sur la liberté et la fraternité, elle a échoué sur le récif de l’égalité. Ses gardes nationaux, instruments de défense de la propriété écrasent dans le sang les émeutes de juin.
Le gouvernement provisoire n’y a pas survécu ni la grande popularité de Lamartine qui le dominait de toute sa stature. Et, depuis, c’est un dictateur à la romaine, le général Cavaignac qui dirige, en attendant que l’Assemblée achève la rédaction de la Constitution.
-Dès la fin de juin, le premier projet en était prêt qui prévoyait un chef de l’état qui fut un président élu. Mais élu comment ?
Le suffrage universel vient juste d’être institué. Comment ne pas en faire dépendre directement l’élection à un poste aussi déterminant ?
Dans le livre de Sylvie Vert, on voit Madame de Lamartine courir assister au discours sur le sujet de son champion. Et il faut bien dire qu’Alphonse le grand poète se prend un peu les pieds dans le tapis. Il assure d’un même mouvement que la présidence ne peut être seulement la résultante du vote de l’Assemblée mais en même temps, ajoute-t-il, elle devra être modeste. Comment le rester quand elle est la seule autorité qui émane de tout le pays.
Son collègue Tocqueville, autrement lucide, prévient Lamartine ainsi légitimé, le président peut vite devenir un prétendant à la couronne. Mais Lamartine par principe est confiant dans l’humanité. L’ambition d’un seul peut empoisonner un verre, pas le grand fleuve du suffrage universel.
-Oui mais il y a en 1848 ce Bonaparte, le fils de la reine Hortense, le neveu de l’Empereur qui vient de surgir. N’est-il pas dangereux ?
Sa première intervention à l’Assemblée est suivie avec attention. Mais pas bien longtemps.
Madame de Lamartine selon Sylvie Yvert note comme les autres assistants au lieu de dire République, il prononce ripipique. Il parle français comme un allemand, et d’ailleurs pareillement, Allemand comme un Suisse, anglais comme un Français etc. Il n’a vécu que comme un perpétuel exilé et il n’est apparu au-devant de la scène que pour deux tentatives de pronunciamentos ridicules. Dans la deuxième, il s’était fait accompagné par un aigle déplumé qu’il avait acheté sur le marché aux oiseaux de Londres, pensant que cela l’aiderait à prendre pied dans le port de Boulogne.
Ce jour d’automne 1848, les curieux cessent vite d’écouter l’homme qui discourt encore un moment de la “ripipique” à la tribune. Puis il se rassoit à sa place, lissant le bout de ses moustaches fixées par de la cire comme aimaient les généraux de l’armée d’Afrique. On ne fit bientôt plus attention à sa longue figure éteinte, avec ses yeux à demi clos de poisson cuit.
-L’élection du premier président au suffrage universel direct est programmée pour décembre 1948.
Lamartine se porta candidat un peu par habitude mais sans faire campagne sinon en prenant un jour la parole depuis le perron de sa maison, appuyé sur la balustrade rouillée.
Pour Lamartine, le candidat élu par les événements, c’était Cavaignac qui répondait à la demande d’ordre exprimée pendant les journées insurrectionnelles de juin.
La gauche a demandé que l’accès à la candidature fût interdit aux membres des anciennes maisons princières. Encore un peu et on aurait pu voir se présenter le prince de Joinville !
Mais il suffisait de Louis-Napoléon Bonaparte. Son programme était évanescent mais, auteur naguère d’un essai sur l’extinction du paupérisme, il faisait rêver les Français modestes davantage que l’immobilisme social de Cavaignac.
-Le résultat fut sans appel.
5 millions et demi de voix pour Louis-Napoléon.
Quatre fois moins pour Cavaignac. Pour Ledru-Rollin, quatre fois moins que pour Cavaignac. 30000 pour Raspail et pour Lamartine, 18000.
La fin de vie du poète, dans la gêne matérielle, ne lui permettra jamais une remontada.
Les adversaires du prince voulurent se consoler en se disant qu’il n’appartenait pas à l’espèce des voulants. Il lui fallait des heures à tirer sur sa cigarette, enveloppé de fumée avant de prendre une décision.
C’était ne pas considérer que la Constitution allait se refermer comme un piège sur les acteurs. Elle prévoyait un mandat de quatre ans seulement non renouvelable pour le président.
Une légitimité populaire associée à un mandat trop court, c’est porteur d’orages.